THE LÄND : Destination France

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Par Sylvain Etaix

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« Je pense que nous devons nous entendre avec la France, et que, sans la France, nous ne parviendrons pas à faire l’Europe ».
Cette phrase est signée Robert Bosch, le 10 juin 1932, dans une correspondance adressée à son ami Paul Reusch, directeur général de la société Gutehoffnungsütte. En 2025, elle est plus que jamais d’actualité. Les nombreux dirigeants allemands et français, mais aussi représentants politiques, que nous avons interrogés dans cette édition inédite partagent cette même conviction.

Robert Bosch, der Vorreiter

En créant, au 19e siècle, la première filiale d’un groupe allemand en France, issu du Bade-Wurtemberg, Robert Bosch a été un précurseur. Il a ouvert la voie à de nombreux autres grands noms de l’industrie bade-wurtembourgeoise qui se sont eux aussi établis chez le voisin français : Porsche, ZF Friedrichshafen, Daimler, SAP, Würth, Trumpf, Lidl, Bechtle… pour ne citer qu’eux. En 2024, sur 232 projets d’investissements allemands recensés en France par Business France, 39 ont été portés par des entreprises originaires du Bade-Wurtemberg, ce qui fait de The Länd la seconde région allemande en termes de volume d’investissements dans l’hexagone derrière la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Avec un investissement de l’ordre du milliard d’euros sur la période 2024-2025, Lidl (groupe Schwarz, siège à Neckarsulm) se classe en tête des investisseurs allemands en France.

Trotz politischer Instabilität bleibt Frankreich attraktiv für Unternehmen aus Baden-Württemberg

Malgré l’instabilité politique du voisin français et les énormes défis auxquels doivent faire face les industriels allemands, notamment dans l’industrie automobile, le digital et l’énergie, la France demeure un marché prioritaire et attractif pour nombre d’entre-eux. A l’inverse, de très nombreux grands groupes et Pme tricolores sont ancrés au Bade-Wurtemberg dans tous les secteurs (L’Oréal, Decathlon, Alstom, Lhyfe, Le Duff, ARaymond, Ligne Roset, Bureau Veritas, Cegid, Ingerop, Igienair…). Et continuent d’y investir.

En 2020, les autorités du Land ont publié leur Frankreich Konzeption, feuille de route qui vise à renforcer les coopérations existantes et à en établir de nouvelles dans des filières stratégiques : digital, aéronautique, spatial. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les investissements dans la défense sont une priorité dans toute l’Europe. Et le Bade-Wurtemberg est un excellent terreau de coopérations franco-allemandes. Dassault Systèmes, Thalès, Safran, Bertrandt, Diehl, Airbus Public Safety and Security en sont de très bons exemples. La plupart de ces groupes français, allemands ou franco-allemands sont membres du Club d’affaires franco-allemand du Bade-Wurtemberg, catalyseur de coopérations bilatérales. La coopération franco-allemande fonctionne bien mais certaines décisions alimentent aussi les crispations, surtout lorsqu’il s’agit de souveraineté nationale ou européenne. Ainsi, l’accord conclu le 24 octobre dernier entre ArianeGroup et le centre aérospatial allemand (DLR) pour transférer de Vernon (Normandie) à Lampoldshausen la production du moteur Vinci d’Ariane 6 réjouit les Allemands mais fait grincer les dents des Français…

Ainsi va la relation franco-allemande. « Une relation d’exception ». C’est en ces termes que qualifie Gaël de Maisonneuve, le Consul Général de France à Stuttgart, la proximité entre le Bade-Wurtemberg (où vivent près de 30 000 Français) et la France. Une proximité qui s’exprime aussi via la société civile et les 500 jumelages existants entre des villes du Land et des villes françaises, trouvant souvent leur origine dans les affres du passé (Courbevoie-Freudenstadt, Montbéliard-Ludwigsburg). « Cette relation bilatérale n’est pas égoïste. Elle est aussi au service de l’Europe » rappelle le Consul Général qui cite les villes de Karlsruhe et de Nancy. Jumelées depuis 70 ans, elles ont élargi leur jumelage à la ville ukrainienne de Vinnytsia.

La richesse de cette relation se jauge également à la densité des relations scolaires, universitaires et culturelles où la défense du bilinguisme et de la biculturalité est le quotidien de nombreux professeurs, enseignants et bénévoles. C’est aussi au Bade-Wurtemberg qu’est né le plus grand patron de presse allemand en France, Axel Ganz. A 87 ans, il jette un regard lucide sur notre époque. La culture française se retrouve aussi dans les assiettes : 73 restaurants établis aux quatre coins du Land jouissent d’une étoile au guide Michelin. Plusieurs chefs portent haut la gastronomie française. Ils revisitent les plats traditionnels souabes (Rostbraten avec des Spätzle, Maultaschen) à la sauce franco-allemande. A l’instar de Patrick Giboin au restaurant Fässle à Degerloch.